Le Nil vient de Râ

L’eau est l’une des ressources naturelles les plus importantes, malgré la rareté de ses sources. Elle est également une denrée essentielle à la survie de l’humanité, comme mentionné dans le préambule des articles 11 et 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dans « l’Observation générale n° 15 ». Malgré la nécessité de cette ressource, de nombreuses populations dans le monde sont privées d’eau, non seulement dans les pays en développement, mais aussi dans les pays développés. L’Observation générale n° 15, déjà mentionnée, précise que plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès aux approvisionnements essentiels en eau, et que des milliards d’autres sont privées d’installations sanitaires adéquates, ce qui a des répercussions négatives sur les sources d’eau et entraîne leur pollution.

Depuis l’Antiquité, l’être humain s’est installé là où il trouvait de l’eau, suivant les rivières et les mers à la recherche de ce que ces dernières pouvaient offrir pour subvenir à ses besoins. Autrefois, l’homme n’avait pas besoin de beaucoup dans sa société, hormis la proximité d’un cours d’eau, qui permettait de faire pousser la vie à partir du sol après l’avoir cultivé et irrigué. C’est pourquoi les anciens Égyptiens ont écrit dans le « Livre des Morts » : « Le Nil vient de Râ », vénérant ainsi le Nil comme un don de Râ, le dieu suprême de l’Égypte ancienne, qui le considérait comme une bénédiction céleste d’origine inconnue. Dans les confessions négatives des anciens Égyptiens, lors de leur passage vers l’au-delà, il est écrit : « Je n’ai pas empêché l’eau de s’écouler en son temps, je n’ai pas obstrué l’eau qui coulait ». Un papyrus retrouvé dans la tombe d’un ancien Égyptien indique : « Toi, l’âme qui repose dans l’éternité, le Nil coulera sur toi dans ta dernière demeure, te bénissant de ses bienfaits, car son eau vient d’Abou (Assouan). Ce Nil jaillit de ses sources profondes, et il déborde de sa cachette, tandis que ses eaux se déversent de leur source ». L’Égyptien ancien a également inscrit sur les murs du temple de Harkhouf à Assouan : « Je n’ai pas pollué l’eau du fleuve, je n’ai pas empêché le Nil de déborder en son temps, je n’ai pas érigé de barrages pour arrêter l’eau qui coule, et j’ai donné du pain à ceux qui avaient faim et de l’eau à ceux qui avaient soif ».

Les tentatives de découvrir les sources du Nil ont commencé sous les premières dynasties de l’Égypte ancienne, mais les anciens considéraient finalement le Nil comme un don des dieux. Les livres d’histoire mentionnent que Jules César a envoyé ses hommes en mission pour découvrir les sources du Nil. Il a reçu une lettre d’un prêtre qui disait : « À Jules César, au sujet des sources du Nil, il est bien connu que les droits de colonisation imposent aux colons de chercher dans les territoires qu’ils occupent les sources de leurs richesses, les moyens de leur prospérité et les voies de leur gloire, afin de les utiliser pour asseoir leur domination sans avoir à affronter une résistance acharnée. L’exploitation des ressources naturelles, essentielle à la colonisation, est une stratégie politique raffinée utilisée par les meilleurs d’entre eux pour attirer les peuples et les asservir. C’est dans cette optique que les Romains ont cherché à entrer en contact avec les prêtres égyptiens experts de l’époque antique pour les interroger sur les sources du Nil et ses affluents, espérant les manipuler pour qu’ils leur dévoilent les secrets politiques et stratégiques qu’ils détenaient, et ainsi obtenir un pouvoir effectif en soumettant les circonstances à leur volonté ».

Ainsi, toute puissance étrangère souhaitait s’emparer des sources du Nil pour contrôler la vie des Égyptiens et les soumettre à son autorité. Plus récemment, l’historien et géographe égyptien Gamal Hamdan, dans son encyclopédie « La personnalité de l’Égypte », a souligné l’importance vitale de l’eau pour l’agriculture et la vie humaine en Égypte. Il a averti que l’absence de régulation de la distribution de l’eau pourrait mettre les intérêts des populations en conflit, un conflit qui pourrait devenir sanglant pour obtenir de l’eau. Celui qui contrôle la source de l’eau a la possibilité de l’utiliser à sa guise ou de la bloquer pour ceux en aval. D’où la nécessité cruciale de réguler la distribution des eaux du fleuve. Hamdan a comparé les relations hydriques dans la vallée du Nil à la loi des vases communicants : tout changement d’un côté entraîne nécessairement un changement de l’autre côté.

Hamdan a également mis en garde contre les lacunes internes dans la régulation du Nil et a soulevé la question des menaces extérieures. Les ressources en eau de l’Égypte ne proviennent pas de l’intérieur de ses frontières, et les pharaons de l’Antiquité n’ont jamais découvert la source du Nil, située à des milliers de kilomètres au-delà des frontières égyptiennes, traversant plusieurs pays avant d’atteindre l’Égypte. Cela constitue une menace potentielle, aggravée par l’achèvement par l’Éthiopie de son Grand Barrage de la Renaissance, qui vise à stocker environ 74 milliards de mètres cubes d’eau du Nil Bleu, qui fournit environ 60 % de l’eau de l’Égypte.

L’Éthiopie espère produire 6 450 mégawatts d’énergie hydroélectrique grâce à ce barrage, tout en contrôlant les crues qui affectent le Soudan et en préservant les eaux perdues, soit environ 20 milliards de mètres cubes, en régulant le débit du Nil Bleu qui alimente Khartoum. Le danger pour l’Égypte et le Soudan réside dans la perte de 14 à 24 milliards de mètres cubes d’eau, ainsi que dans la diminution des ressources en eau dues à l’infiltration dans les roches du réservoir. De plus, la production d’énergie hydroélectrique en Égypte sera affectée par une baisse de 10 millimètres du niveau du lac Nasser. La part de l’Égypte dans les eaux du Nil est de 55,5 milliards de mètres cubes, mais le barrage éthiopien pourrait en menacer plus de 15 %. Certaines études indiquent que la réduction pourrait atteindre 17 milliards de mètres cubes, alors que l’Égypte aurait besoin d’augmenter sa part à 73 milliards de mètres cubes pour répondre à ses besoins actuels.

Le ministre égyptien des Ressources en eau a déclaré lors d’une session en 2022 que la part annuelle d’eau par habitant en Égypte était d’environ 560 mètres cubes, ce qui place le pays à la moitié du seuil de pauvreté en eau fixé au niveau mondial. En comparaison, la part mondiale par habitant en 2012 était de 6 396 mètres cubes, tandis qu’en Afrique, elle était de 4 372 mètres cubes et dans le monde arabe de 840 mètres cubes par an.

Nous sommes donc confrontés à une véritable catastrophe en matière de gestion de l’eau en Égypte, et la menace reste omniprésente, sans réaction de la part des autorités égyptiennes ou des instances internationales compétentes.